samedi 19 mai 2012

Arthur Dreyfus, La synthèse du camphre


Drôle de goût pour une étrange rencontre

A propos de « La synthèse du camphre », d’Arthur Dreyfus, publié chez Gallimard

Je ne devrai rien dire, rien écrire, tant la peur s’installe de blesser, d’enfreindre la sacro-sainte loi qui s’impose de respecter par le silence les livres incompris.

Arthur Dreyfus nous a fait l’honneur de venir hanter les rues manosquines, lors des dernières « Correspondances ».

Je n’avais guère apprécié sa prestation, avais commis le crime de l’écrire. Il s’en est suivi un bref échange téléphonique, puisqu’il avait pris la peine de me joindre. Nous devions nous revoir. Il est parti glaner un prix sous d’autres cieux, sans que nous puissions échanger vraiment.

J’eus beau affirmer qu’on ne critique que ce qu’on aime, l’échange s’en est arrêté là.

Mais j’ai pris la peine de lire avec attention son roman. Si j’y reviens c’est pour dire toute mon incompréhension.

Mon incompréhension, mais aussi mon attirance : car se profile derrière l’ouvrage une plume encore malhabile.

Ce serait mensonge de dire que je n’ai pas aimé. Ce serait même erreur que d’affirmer que je fus transporté.

Je suis simplement resté dubitatif. Car je n’ai pas bien compris le croisement de ces deux histoires. Même si, à la fin, il s’éclaire (bien qu’il ne soit pas impossible de saisir dès le début les filiations internes au roman).

Mais voilà : autant je me suis laissé transporter par le drame de Félix et de son frère Victor, déportés, et de cette difficulté si fréquente à relater ce qui fut de leur vie, au seuil de la mort latente ; autant la pauvre histoire de ces deux êtres qui se découvrent dans leur amour homosexuel par mail interposés, pour finalement laisser supposer à une somptueuse manipulation d’un obsédé comme il en erre tant sur cette toile incontrôlable (et dont je ne souhaite absolument pas le contrôle absolu), m’a laissé dubitatif.

Quel rapport entre l’atrocité des camps et cette frivolité qui agite le microcosme mondial ?

Me voilà donc, contraint par cette brève conversation téléphonique d’exprimer mes doutes. Non pour salir ou démolir, mais pour m’interroger : jusqu’où peut-on mélanger les genres ?

L’histoire de Félix a la force de l’indicible. Celle d’Ernest sonne faux d’un bout à l’autre, car elle ponctue la première d’une question permanente : quel rapport entre l’une et l’autre ?

Je suis resté sur ma faim. Je suis resté dans mes doutes, mes incompréhensions. Arthur Dreyfus m’en voudra-t-il cette expression, ce bémol mis aux prétentions bien naturelles, lorsque, si jeune, on trouve son premier roman publié chez Gallimard, et titulaire de nombreux prix des lycéens ?

J’aimerais lire ce que les lycéens en question ont pu saisir de ce curieux entrelacement de destinées. Or, je ne le saurai sans doute jamais, et, peut-être même, comme beaucoup d’autres, ce roman ne sera-t-il qu’une étoile filante au ciel de la littérature parisienne. Ce serait regrettable car on peut y entrevoir une belle plume en devenir.

Xavier Lainé

Manosque, 21 décembre 2010
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Note précédemment publiée ici, sur Littérature.net :

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