mardi 22 mai 2012

Claude Albarède, Ajours

"La vie est un voyage"
à propos de Claude Albarède, Ajours,
éditions L'arbre à Paroles, collection traverses.
C'est toujours un plaisir d'ouvrir un ouvrage de L'arbre à paroles, c'est toujours un plaisir pour la qualité du papier, pour la relation charnelle qui s'établit d'entrée avec le livre.
C'est un plaisir admiratif aussi du courage de publier autant, et de la poésie de surcroît. Car il en faut du courage sur ce territoire inutile, et pourtant aussi nécessaire que l'air que l'on respire.
C'est un plaisir enfin par les découvertes que l'on fait à l'ouverture de la boîte aux lettres, et de l'enveloppe qu'elle contient.
On découvre par exemple Claude Albarède. On le découvre alors qu'il n'en est pas à son coup d'essai, mais comment savoir ce qu'un poète publie quand ses ouvrages ne sont quasiment pas diffusés, que la plupart des libraires ignorent un genre littéraire bien plus durable que la littérature people en vogue sur le PAF.
On ouvre Claude Albarède, on glisse de page en page avec légèreté, l'œil se fait complice de ses errances poétiques au creux de vallons ensoleillés. Car la poésie jaillit aussi de la contemplation naturelle des choses. Le poète est d'abord cet être contemplatif qui se laisse traverser par une ambiance, une chaleur ou l'ombre de la nuit. Le poète est cet être dont la chair frémit de chaque seconde passée au chevet du monde.
Et, lorsque sa plume affleure la page, c'est toute la responsabilité du monde qui le porte à écrire. Toute sa complexité aussi qui prend langue au détour des mots.
Claude Albarède nous invite non à le suivre dans un chant à la suavité bucolique, mais à lui emboîter le pas en ses cheminements diurnes et nocturnes. Il nous invite chez lui avec cette chaleur méditerranéenne qui fleure le pays sec, la lumière éclatante et la douceur fraîche de la nuit. Douceur propice aux songes, aux rêves et aux muses.
L'écriture se fait saisonnière, on reste étonnés d'une telle légèreté. Mais sans doute est-ce pure philosophie que de détecter la caresse d'une aile dans un monde qui ploie sous le fardeau de l'immonde. Sans doute est-ce nécessité de proclamer en cet espace de mots, l'impérieux besoin de s'inventer des respirations pour ne pas sombrer.
Le poète est celui qui nous montre la respiration sur la partition de la vie. Il est celui qui nous prend la main et nous dit: "Vois, c'est ici que tu souffles un peu avant de reprendre ton chant".
"Aux lisières perdues
sans partitions et sans errances
on a parfois dans l'herbe
une impression d'été
un cœur de vieille souche
où s'agenouille
l'amadou."
Le poème se fait alors prédicateur d'un avenir autre, un avenir dégagé de toutes vicissitudes quotidiennes, un avenir libre de contraintes, léger comme l'aile des anges qui peuplent tant et tant de nos nuits poétiques. Le poème est un égarement dans le monde tangible, son anachronisme nous mène au bout de l'humain, si extrémité il peut y avoir dans l'adaptation sans fin de notre espèce qui doute.
"Il attend l'avenir
ce rêveur solitaire
qui lustre les objets
balaie devant sa porte"
Il attend l'avenir et le prépare aussi. Il en fait ce que le monde refuse de devenir, il lui confère une raison d'exister qui détourne nos pas de la course suicidaire. Il nous fait nous asseoir au bord du gouffre pour observer la divine grandeur de l'horizon quand tous se précipitent dans le vide.
C'est un hymne d'espoir et d'amour, une musique retrouvée que l'on croyait perdue. Le poème se fait guide pour nos pas égarés.
"Quand la lumière s'accroît
par le poème
la page peu à peu
redevient blanche."
C'est un rempart aussi contre l'usure du temps. C'est une digue dressée contre la marée qui nous submerge et nous empêche de voir. Car pour ouvrir notre cœur à la sensibilité du monde, il nous faut voir avec lucidité où nous mettons nos pieds. Il nous faut vaincre l'usure du temps. L'écriture n'est-elle pas au fond cette bouée qui nous sauve depuis la nuit des temps?
"L'usure est une trace une écriture
qui peu à peu
pourrait percer".
C'est en même temps prendre pour acquise la fragilité de l'existence; c'est sentir la précarité de notre passage, l'éphémère de ce que nous sommes. C'est aborder aux rivages de l'humilité quand la prétention mène le monde ; revenir à la terre berceau de notre incarnation temporaire ; traverser, se laisser traverser par le soupir des vents, s'assimiler à eux pour goûter davantage la précarité de notre être.
"Quoi traverser ?
La vie est un voyage.
Qui n'a qu'un bord."
Voyage, voyage qui nous mène d'une rive à l'autre sans jamais trouver le bord. Nous voici portés, emportés au-delà des mots par le silence d'une vague, par le calme de la nuit qui borde nos souvenirs. Le poème se fait chant, davantage chant pour bercer encore d'un somptueux espoir le jardin de nos rêves. C'est douceur dans l'âpreté de nos trajectoires. C'est lumière dans le placard sombre de nos erreurs.
"L'espoir c'est la racine
qui fourrage dans l'erreur."
Il nous faut enfin revenir à ce qui nous est essentiel, ne pas emboîter le pas de nos égarements, goûter au détour du poème ce qui nous donnerait le goût de vivre et de survivre, simplement, pour une chose aussi inutile qu'une douce poésie.
"Asseyons-nous contre la lampe
pour décider de choses simples:
de la beauté qui se dérobe
de la raison bouleversée
de l'espérance à l'aveuglette
frôlant des roses
Pour décider de choses sûres:
le chant de l'aube dans les buissons."
Le poème est cet acte définitif sans lequel nous ne saurions survivre.
Xavier Lainé
La Burlière, Ferrages de Guilhempierre,
Manosque
29 avril 2004
*
Note précédemment publiée sur Littérature.net :



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