jeudi 26 juillet 2012

Catherine Claude




La « Théorie du chaos », formulée par les sciences les plus en pointe actuellement, nous apprend que tous les possibles peuvent surgir du chaos.

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Ce serait donc l’aptitude à construire les structures mêmes de la pensée qui définirait la spécificité de l’intelligence humaine, intelligence qu’on peut appeler réflexive, qui permet de s’emparer des constats perçus « intuitivement », de les préciser et surtout d’établir entre eux des corrélations selon une combinatoire extrêmement complexe, ou pour mieux dire, qui complexifie quasi indéfiniment la complexité.

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La pensée « primitive » se représente le mouvement en se référant aux mécanismes interrelationnels de la nature, multi fonctionnels et multi-paramétriques, qui ne peuvent être représentés de façon linéaire. Pour le chasseur, le mouvement est celui du gibier. En germe, une représentation linéaire du temps coulant comme un fleuve.

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Ce n’est pas la « culture » qui a désorganisé les structures biologiques propres à l’humain, comme l’a développé Lorenz, c’est une déviation imprimée aux composantes de cette « culture », qui s’articulaient ensemble en maintenant les équilibres, tant dans les mentalités que dans les systèmes de société.

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L’éloge de l’écriture comme élément déterminant d’un progrès n’est plus à faire. Son rôle est incontestable pour conserver la mémoire des avoirs qui ne pouvaient s’en dispenser. Mais cet acquis s’accompagne d’importantes déperditions. L’écriture donne à des scribes la haute main sur une expression fixée de la langue, dont l’expression orale constamment renouvelée était le patrimoine de tous. Quand l’écriture sera assez souple pour consigner des écrits, ce sont ces récits écrits par des scribes dévoués aux puissants qui seront conservés. C’est également le premier média, le premier intermédiaire entre les hommes et leur propre expérience, leurs savoirs, leur mémoire. Elle est un double infiniment appauvri du langage qu’elle pétrifie. L’écriture permet une spoliation de ce bien commun à tous, le langage, qui a été un grand moteur de l’hominisation – de la parole plurielle, mémoire des savoirs communautaires.

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Traduit littéralement, Sargon signifie : «  Je suis le roi légitime ». Il est tout, sauf légitime. Ce titre relève du mécanisme de la dénégation décrit par Freud. Ici, rien à mettre au compte des facéties de l’inconscient. La contre-vérité est d’autant plus claironnée que l’imposture est criante. C’est une figure de l’impudence de l’ordre guerrier quand il atteint une forme achevée. Une manière de chef-d’œuvre a été réalisée en la matière au XXème siècle par les sociétés socialistes écartelées entre l’idéologie dont elles se réclamaient pour se légitimer et leurs pratiques.

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Dès le IVème millénaire, plus tôt selon certains auteurs, les guerriers aguerris de la vague mégalithique ont envahi l’Eurasie occidentale. Elle a laissé ses sinistres traces avec les dolmens, menhirs, tumulus et hypogées, sépultures des grands guerriers aspirant à l’immortalité. Les dolmens reproduisent en plus grand les micro-dolmens trouvés par l’abbé Breuil, qui couvrent le squelette d’un seul homme. L’entourage de dalles protège le cadavre de la putréfaction. Ce type de sépulture est inspiré par une idée paysanne pervertie de la terre matricielle. Le mort (individuel), qui participait au renouvellement de la vie universelle, entend échapper à la loi naturelle et survivre post mortem, puisqu’il se voit lui-même comme « surnaturel », dompteur des animaux et des autres hommes.

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Les centaines de villages lacustres trouvés dans les régions alpines et pré-alpines sont les témoins de la menace que ces bandes font peser sur ces régions. Les anciens préhistoriens avaient interprété que ces habitats lacustres protégeaient les habitants des animaux. Ils les protègent de l’espèce animale devenue la plus féroce quand elle est contaminée par le virus guerrier.

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Hommes réquisitionnés pour les travaux forcés, terres laissées en jachère, populations châtiées si elles ont résisté ou sacrifiées dans les sacrifices rituels guerriers, ces terroirs sont le lieu d’un anéantissement de l’ordre paysan par un ordre guerrier qui peut-être a été lui-même détruit par les effets de sa propre destruction, ou qui a sévi jusqu’à ce que les Celtes s’emparent de l’Occident.

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C’est le moment de signaler ( ce que la représentation de l’histoire égyptienne ne rend pas évident) que tout changement de dynastie suppose une rupture. Ce peut être par extinction d’une lignée, mais c’est souvent le signe d’une usurpation par un « coup d’Etat ».

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Le virus qui atteint les hommes dans ce qui avait donné ses meilleurs chances à l’espèce, son intelligence, se propage en épidémie.
Les terrifiantes activités de ceux qui sont atteints par ce virus rappellent celles des organismes qui s’entredévorent dans les « écosystèmes », sauf que les déséquilibres qu’ils déclenchent ne se rééquilibrent jamais. Insoupçonnable deux millénaires plus tôt, ce chiendent dévaste les luxuriants jardins mésopotamiens.

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Cyclones tourbillonnants, mêlées à n’en plus finir, Roi des Rois de l’Univers basculant de leur trône, jusqu’à ce que, environ douze siècles après Sargon, la maladie guerrière entre dans une phase de crise aigüe avec les Assyriens.
Cette crise aigüe durera six siècles, le temps qui nous sépare de la guerre de cent ans . Pendant ces six siècles, la folie guerrière, qui ne se résume pas à celle des combats, atteint des paroxysmes qui resteront indépassés jusqu’au 2àème siècle de notre ère.
Six siècles qui font six cents ans et correspondent à l’histoire vécue par à peu près vingt-quatre générations. Pourtant, pendant ces six siècles, la résistance de l’ordre paysan ne s’est pas relâchée. Impitoyablement châtiées, les révoltes n’ont jamais cessé, et elles ont fini par avoir raison du monstre assyrien. Mais les peuples qui ont subi son joug ne s’en sont jamais remis. Jamais tout à fait. Même quand une pâle aurore se lève après ce long cauchemar.

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Le zoroastrisme a été adopté par les souverains perses comme religion d’Etat, comme bien plus tard l’empereur romain Constantin, et après lui les empereurs byzantins et les chefs guerriers germaniques adopteront le christianisme héritant de l’hébraïsme monothéiste. Caution de leur propre souveraineté. Et elles sont bien commodes, ces religions de rédemption qui attribuent le Mal aux péchés des hommes, en occultant le rôle des guerriers.

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C’est sans doute la première grande religion qui se fonde sur le lessivage des mémoires populaires et qui, sous le couvert de la lutte contre le Mal, invite les déshérités à se racheter de ce Mal dont ils ne sont pas coupables, de s’en racheter par une docilité aux puissants qui, elle, n’est pas un leurre.

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Le rôle des gens de savoir a été déterminant pour conserver l’ancien système de valeur. Lignées de « sages », dont la sagesse s’enracine dans celle de l’ordre paysan, qui ont été les catalyseurs et les conservateurs du patrimoine collectif de savoirs des civilisations archaïques.

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C’est parce que très tôt la tradition « paysanne » a été confirmée par Confucius, que la Chine a conservé les grands équilibres qui lui ont permis pendant plus de deux millénaires d’être une des plus grandes civilisations planétaires, donnant la mesure des possibles de l’ordre « paysan ».

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Sans entrer dans le détail de l’édifice tao, on en retient seulement qu’il recueille l’essentiel de l’héritage des sociétés archaïques paysannes : l’accord des humains avec les lois de la nature, le rappel que la vie humaine ne prend sens qu’en s’inscrivant dans la vie universelle.

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Bibliographie

- L’enfance de l’humanité, des communautés pacifiques aux sociétés guerrières, éditions L’Harmattan, collection Passerelles de la Mémoire, 1997

mardi 17 juillet 2012

Bronislaw Malinowski



Que l’on envisage une culture très simple ou très primitive, ou bien au contraire une culture complexe très évoluée, on a affaire à un vaste appareil, pour une part matériel, pour une part humain, et pour une autre encore spirituel, qui permet à l’homme d’affronter les problèmes concrets et précis qui se posent à lui.

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(…) Dans la pratique quotidienne, intuitive, nous réagissons à la conduite d’autrui en passant par le mécanisme de notre introspection personnelle.

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Bibliographie

- Une théorie scientifique de la culture, éditions François Maspero, 1968, Points Seuil, 1970

samedi 14 juillet 2012

Tobie Nathan



Je propose donc d’étudier les psychothérapies comme le cas particulier d’un ensemble de pratiques en usage dans le monde, destinées à modifier les personnes, les groupes et les situations à partir d’une procédure technique.

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(…) Le terme psychothérapie signifie thérapeutique par l’esprit et non pas thérapeutique de l’esprit puisque :
1.     d’une part, des patients souffrant de désordres somatiques sont réputés pouvoir en bénéficier ;
2.     d’autre part, les psychothérapeutes excluent – c’est même ainsi qu’ils s’auto-définissent la plupart du temps - l’usage des médicaments. Or, il est parfaitement envisageable de soigner « l’esprit » par une substance, à considérer l’usage de plus en plus répandu des psychotropes.
En vérité, « psychothérapie » désigne « la thérapeutique de la personne (de l’être), par le traitement de son « âme », selon des méthodes excluant le recours à la chimiothérapie ».
Définition à laquelle j’ajouterai aujourd’hui : « … et à toute forme de procédé impliquant l’action de la matière sur l’esprit ».

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Tout discours déconnecté, émettant des vérités sur la personne ou sur l’individu du haut d’un Olympe théorique, sans avoir donné la parole aux personnes dont elle parle, sans les avoir intégrées dans la construction de sa pensée est à fuir.

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Le désordre psychologique présenté par une personne ne concerne jamais cette personne seule.

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Bibliographie

Nous ne sommes pas seuls au monde, éditions Les empêcheurs de penser en rond, 2001
- Avec Nathalie Zajde[1], Psychothérapie démocratique, éditions Odile Jacob, 201