mercredi 19 février 2014

Gaston Bachelard


Au fond de la matière pousse une végétation obscure ; dans la nuit de la matière fleurissent des fleurs noires. Elles ont déjà leurs velours et la formule de leur parfum.
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Les images poétiques ont, elles aussi, une matière.
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L’individu n’est pas la somme de ses impressions générales, il est la somme de ses impressions singulières.
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L’eau anonyme sait tous mes secrets. Le même souvenir sort de toutes les fontaines.
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Une goutte d’eau puissante suffit pour créer un monde et pour dissoudre la nuit.
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L’imagination n’est pas, comme le suggère l’étymologie, la faculté de former des images de la réalité ; elle est la faculté de former des images qui dépassent la réalité, qui chantent la réalité. Elle est une faculté de surhumanité. Un homme est un homme dans la proportion où il est un surhomme. On doit définir un homme par l’ensemble des tendances qui le poussent à dépasser l’humaine condition.
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La vraie poésie est une fonction d’éveil.
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Sous sa bonne forme, le complexe de culture revit et rajeunit une tradition. Sous sa mauvaise forme, le complexe de culture est une habitude scolaire d’un écrivain sans imagination.
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Pour avoir cette constance du rêve qui donne un poème, il faut avoir plus que des images réelles devant les yeux.
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Le monde reflété est la conquête du calme. Superbe création qui ne demande que de l’inaction, qui ne demande qu’une attitude rêveuse, où l’on verra le monde se dessiner d’autant mieux qu’on rêvera immobile plus longtemps !
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L’homme veut voir. Voir est un besoin direct. La curiosité dynamise l’esprit humain.
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Contempler l’eau, c’est s’écouler, c’est se dissoudre, c’est mourir.
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Qui s’enrichit s’alourdit.
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Si l’on aime, aussitôt on admire, on craint, on garde.
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Et toi, rêveur, que le silence rentre en toi !
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Tout doit flotter dans l’être humain pour qu’il flotte lui-même sur les eaux.
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L’eau humanise la mort et mêle quelques sons clairs aux plus sourds gémissements.
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On ne se guérit jamais d’avoir rêvé près d’une eau dormante…
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L’eau mêlée de nuit est un remords ancien qui ne veut pas dormir.
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Pas de rêverie sans ambivalence, pas d’ambivalence sans rêverie.
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L’homme se demandera sans fin de quel limon, de quelle argile il est fait.
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Ce n’est pas la connaissance du réel qui nous fait aimer passionnément le réel. C’est le sentiment qui est la valeur fondamentale et première.
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Ce qui attache l’inconscient, ce qui lui impose une loi dynamique, dans le règne des images, c’est la vie dans la profondeur d’un élément matériel.
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La culture nous transmet des formes – trop souvent des mots. Si nous savions retrouver, malgré la culture, un peu de rêverie naturelle, un peu de la rêverie devant la nature, nous comprendrions que le symbolisme est une puissance matérielle.
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Le monde est aussi bien le miroir de notre ère que la réaction de nos forces. Si le monde est ma volonté, plus grand est l’adversaire.
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Dans la bataille de l’homme et du monde, ce n’est pas le monde qui commence.
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Les grands timides sont de grands marcheurs ; ils remportent des victoires symboliques à chaque pas ; ils compensent leur timidité à chaque coup de canne. Loin des villes, loin des femmes, ils recherchent la solitude des sommets.
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A une crainte surmontée correspond toujours un orgueil.
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Quel est le véritable calme humain ? C’est le calme conquis sur soi-même, ce n’est pas le calme naturel. C’est le calme conquis contre une violence, contre la colère. Il désarme l’adversaire ; il impose son calme à l’adversaire ; il déclare la paix au monde.
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Le conquérant et le poète veulent l’un et l’autre mettre la marque de leur puissance sur l’univers : l’un et l’autre prennent la marque à la main, ils mettent leur fer rouge sur l’univers dominé.
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La métaphore, physiquement inadmissible, psychologiquement insensée, est cependant une vérité poétique. C’est que la métaphore est le phénomène de l’âme poétique. C’est encore un phénomène de la nature, une projection de la nature humaine sur la nature universelle.

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Bibliographie




- L’eau et les rêves, édition le Livre de Poche, 1993






mardi 18 février 2014

G.B. Edwards


Si j’avais le pouvoir d’arranger les choses en ce bas monde, elles seraient différentes, je vous le garantis. Je ne prétends pas que je passerais tout mon temps à apporter des améliorations à gauche et à droite. A mon avis, avant d’améliorer quoi que ce soit, il faut y regarder à deux fois ; s’assurer qu’on ne va pas, au contraire, aggraver la situation. Guernesey a tellement progressé dans le mauvais sens ces dernières années que même moi, qui ai vécu dans cette île toute ma vie, je la reconnais à peine. Je sais bien que le changement est inévitable au long des années, mais il devrait s’opérer sans qu’on s’en aperçoive. Même le temps n’est plus ce qu’il était.
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Ça ne rime à rien de monter sur ses grands chevaux en ce bas monde, car un homme ne sait jamais s’il ne va pas commettre un faux pas.

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Bibliographie



 - Sarnia, éditions Points, 2006

lundi 17 février 2014

Toni Morrison


Franck creusa un trou d’environ un mètre cinquante et large de quatre vingt dix centimètres. Il lui fallut manœuvrer car les racines du laurier résistaient à cette agression et se défendaient. Le soleil, devenu rouge, était sur le point de se coucher. Les moustiques tremblaient au-dessus de l’eau. Les abeilles étaient rentrées chez elles. Les lucioles attendaient la nuit. Et une légère odeur de grappes de muscat, picorées par les colibris, apaisa le fossoyeur. Quand enfin la chose fut faite, un vent bienvenu se leva. Frère et sœur glissèrent le cercueil aux couleurs pastel dans la tombe verticale. Lorsqu’elle fut recouverte de terre, Franck tira de sa poche le morceau de bois incrusté de sable et deux clous, qu’il enfonça à l’aide d’une grosse pierre pour le fixer à l’arbre. Un clou se recourba et devint inutile, mais l’autre tint suffisamment pour exposer les mots que Franck avait peints sur l’écriteau de bois.

Ici se dresse un homme.

Vœu pieu, peut-être, mais il aurait pu jurer que le laurier se faisait une joie d’acquiescer. Ses feuilles vert olive s’agitèrent en tous sens à la lueur d’un opulent soleil rouge cerise.
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Je suis resté un long moment à contempler cet arbre.
Il avait l’air tellement fort
Tellement beau.
Blessé pile en son milieu
Mais vivant et bien portant.
Cee m’a touché l’épaule
Légèrement.
Franck ?
Oui ?
Viens, mon frère. On rentre à la maison.

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Bibliographie



- Home, éditions 10/18, 2012




dimanche 16 février 2014

Alain Mabanckou


Lorsqu’on milite pour une cause, quelle qu’elle soit, on applique ses idées, ne serait-ce que pour montrer l’exemple.
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L’oiseau qui ne s’est jamais envolé de l’arbre sur lequel il est né comprendra-t-il le chant de son compère migrateur ? Nous avons besoin d’une confrontation, d’un face-à-face des cultures. Peu importe le lieu…
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Trop d’allégresse annonce souvent de prochaines intempéries. A force de jubiler, nous ne voyions pas que nous n’étions devenus nos propres maîtres que sur le papier.
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Un être indépendant est surtout et avant tout un être qui a choisi de se définir lui-même, et, par voie de conséquence, d’assumer cette définition.
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Quand la conscience est hantée par un fait historique, elle a tendance à se réfugier dans le mythe – et, du mythe à la mythomanie, le pas est très vite franchi.
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Le colonialisme est forcément un asservissement. L’Europe aura commis l’un des crimes les plus crapuleux de l’histoire en imposant sa vision du monde aux autres peuples.
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Les soleils des indépendances n’allaient pas tarder à recouvrir le ciel d’Afrique d’un nuage sombre. La prolifération des conflits ethniques, les assassinats politiques, les « coups d’Etat permanents », deviennent autant de spécificités africaines. Le mot démocratie semble banni du vocabulaire de nos dirigeants. La pauvreté attribuée au continent tranche avec l’inventaire des richesses du sous-sol laissées à l’exploitation de ceux-là même qui furent naguère les dominateurs. Et lorsqu’un pays  a la hardiesse de remettre les pendules à l’heure, l’ancienne puissance lui fabrique un opposant de toutes pièces. On lui donne les armes et on l’accompagne dans sa conquête du pouvoir. Pendant que les balles crépitent, les contrats se signent sous les tentes.
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En réalité – et c’est ce que je retiens de ce demi-siècle funeste de notre prétendue autonomie -, nous ne sommes pas les enfants des soleils des indépendances, nous sommes les enfants de l’après-génocide rwandais. Un génocide rendu possible par une colonisation qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours par des moyens détournés. L’Afrique n’a jamais été aussi tributaire de ses anciens maîtres. Pour le grand malheur de ses populations. Mais au-delà de la responsabilité qu’on peut imputer à l’Occident, les Africains sont également présents au banc des accusés…

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Bibliographie




- Le sanglot de l’homme noir, éditions Fayard, Points, 2012


samedi 8 février 2014

Georges Labica


Le droit à l’insurrection, constitutionnellement, donc légalement garanti, c’est le droit de suspendre, sinon la loi, du moins ses organes, le gouvernement et l’ensemble des appareils qui assurent son autorité.
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S’il n’était qu’un message à transmettre de la politique de la philosophie de l’Incorruptible, il s’adresserait aux intellectuels, pour les inviter, contre la « force des choses et les ordres établis, à risquer, à nouveau, le courage de la pensée.

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Bibliographie





- Robespierre, Une politique de la philosophie, éditions La Fabrique, 2013