jeudi 31 décembre 2015

Tu sais quoi ?





Tu sais quoi ?

On pourrait aller voir de l'autre côté, et se raconter plein d'histoires, de belles histoires, pas de ces histoires moches qui font pleurer...

On pourrait aller voir vers la lumière, et puis on serait complices d'autres jours, d'autres rires, d'autres tendresses.

On pourrait s'en aller tous les deux, et distribuer de la tendresse partout et surtout là où elle manque, terriblement.

Tu sais quoi ?

On pourrait même tenir compagnie aux mésanges qui viennent si près de la fenêtre que tes moustaches en frémissent.

Et puis on s'envolerait sur un vol de bisous, rien que pour installer la paix et l'amour sur le trône de l'an...

Ce serait quand même bien beaux moments qu'on pourrait distribuer comme cadeaux, sans rien souhaiter d'autre que de vivre heureux...

Xavier Lainé

29 décembre 2015

dimanche 22 novembre 2015

Ecrire pour ne pas fuir

A propos du livre de Niroz Malek, Le promeneur d'Alep, éditions Le serpent à plumes 2015



Tout le monde ne peut être Niroz Malek écrivant sous les bombes, à Alep.
Mais tout le monde devrait lire Niroz Malek pour comprendre que tout le monde ne peut demeurer sous les bombes et écrire.
Que, parfois, il devient urgent de fuir.
D'ailleurs, qui me dit aujourd'hui que Niroz Malek n'a pas été contraint, lui aussi, de s'échapper à cet enfer ?

Car d'Alep il ne reste plus qu'une ombre, il semble bien. Et la mise à mort de ce lieu là signe en quels territoires d'inhumanité nous sommes entrés depuis les premières bombes sur Bagdad, en deux mille trois.

Dès la première lueur phosphorique, en cette aube funeste, il fallait voir, au-delà, le symbole lancé comme stade ultime du capitalisme libéral avancé : le chaos et le choc pour toute culture, rasant tout sur son passage au mépris de la mémoire et des nécessaires vertus culturelles.
Les enfants, les monstres libérés par ce choc poursuivent leur route, rasent et pillent, violent et assassinent, sèment partout leur terreur aveugle.

Et il faut s'appeler Niroz Malek et être encore digne de beau mot d'humain pour écrire de cet enfer : « J'ai cessé d'écrire quand m'est parvenu au loin le bruit d'un avion. Le cœur serré, je me suis demandé : Quelle sera la cible ? »

Nul ne peut comprendre les fuites éperdues et le long cortège de leurs victimes s'il ne lit Niroz Malek.


© Xavier Lainé, Manosque, 22 novembre 2015

dimanche 27 septembre 2015

Lettre sans correspondance 5




Je ne m'étendrai pas. Tandis que sur scène vous causiez (mais de quoi donc?), notre petit noyau solidaire tentait d'inscrire sa démarche dans la durée.
C'est pas facile de durer. C'est pas facile de vivre : faudrait être à la fois dans cette intensité servie à domicile, disponible pour famille et amis, ne rien lâcher de ce qui vous alimente, donc travailler toujours plus pour toujours moins, faire les courses, entretenir la maison, accompagner les enfants ici et là, écrire, réfléchir, lire, lire, lire...
C'est pas facile de vivre. On est toujours déchiré entre quelque chose et autre chose. Puis on s'assoit sur le bord du chemin, avec le regret de voir la retraite s'éloigner toujours, tandis que d'autres...
Mais sans jalousie aucune, hein ! T'avais qu'à pas naître après les trente piteuses.
T'avais qu'à pas...
Et tandis que vous causez, suis là à me demander ce que pourrait être ma ville et ma vie si...
Si on n'crevait plus devant ma porte, si des mains fébriles ne se tendaient plus dans la rue Grande, chaque samedi, si le gite de nuit était enfin vide, et si nous faisions quelques petites choses pour tous les humains en errance, en déshérence, en partance et qui n'arrivent plus jamais nulle part puisque le monde s'enferme dans les barbelés de sa défunte mémoire.
Robert Antelme1, vous avez lu ?
A sa lecture me suis dit que nous avons atteint l'idéal du monde tel qu'il fut rêvé dans les camps : même plus besoin de barbelés, on te les colle en dedans, et tu peux voir des êtres partir en lambeaux sur les routes désespérées, il se trouve toujours un festival pour détourner ton attention et te ramener gentiment, comme le chien son troupeau, dans le droit chemin de tes étroits égoïsmes.

Mais peut-être je lis trop. Peut-être.
Peut-être je rêve trop. Peut-être.

Je me fais mon festival de mot douze mois sur douze et vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Comme vous je cause. Je tente de comprendre, et puis j'écris des textes sans importance, puisqu'on crève toujours autant un peu partout.
J'voudrais faire mon festival de rêves qui se réalisent. Et ne plus me réveiller matin avec cette amertume de vivre dans un grand écart permanent entre ce que je dis, écris, et vis. Mais pour ça faudrait seulement qu'on rallume les lumières et que, juste un peu, je n'ai plus cette sale impression, en venant vous écouter, que mon attention se trouve détournée de l'essentiel : la mort d'un homme qui ne demandait qu'à vivre est toujours une mort de trop.

J'ai beau lire, c'est ce cri là que je lis et qui traverse les siècles. Ma généalogie se tisse dans l'errance et le métissage. Elle ne me pose aucune question, sinon qu'elle m'impose de participer à la construction d'une littérature qui ne fait pas semblant d'ignorer ce qui se trame par-delà la couverture où elle rêve.

28 septembre 2015

Xavier Lainé

Post scriptum : quelques extraits de Robert Antelme peuvent être lus ici : http://lesnourritureslivresques.blogspot.fr/2013/07/robert-antelme.html



1 Robert Antelme, L'espèce humaine, éditions Gallimard, collection Tel

samedi 26 septembre 2015

Lettre sans correspondance 4





Rien vu non plus, sinon place vide à l'heure de proclamer poèmes écrits de mains presque anonymes, sur le Radeau des médusés1.
Place presque vide à l'heure où vous faisiez la sieste, tandis qu'ailleurs...
J'hésite encore à tremper ma plume dans le vinaigre.

Une venait, un peu étonnée de découvrir Manosque sous le jour de son étroite bourgeoisie. Et je riais de son étonnement : une si jolie petite ville sans histoire !
Tellement qu'elle s'étonne elle-même de recevoir presque sans rien faire, sinon larguer subsides, le gratin d'une rentrée littéraire plus à l'aise entre les pages des médias à la mode.
Mais comment donc, vous rentrez ? C'était donc que vous étiez sortis ?

Dois-je avouer ne pas avoir à subir ces affres puisque ne m'en sors jamais. M'arrive bien plus souvent de râler (hé oui, encore!) après ce temps inventé pour m'empêcher de faire et écrire tout ce que ma tête ne cesse d'inventer !
Ne m'en sors jamais.
Et le plus souvent écris et lis dans ce no man's land où poésie n'a plus d'espace. Plus d'espace pour dire ce qui me glace le sang, ce qui me tire les larmes.
Les journaux et informations (est-ce bien le mot?) en disent tant, à l'heure du déjeuner, en montrent tant, à l'heure du dîner, que poésie devrait proposer autre chose : compter fleurette insouciante, à l'ombre des jeunes filles en fleurs, peut-être. Mais même l'ami Marcel Proust, au fond, ne faisait que dénoncer l'artifice de cette bourgeoisie triomphante et qui ne cesse de remporter ses victoires sur l'immense peuple des dépossédés, masquant sa violence d'une pudique culture.

Ne m'en sors jamais, parfois me contredit. Parfois me faut m'excuser de m'être un peu emporté. On ne vit pas avec passion sans quelques dommages collatéraux (ils sont dans l'air du temps, ceux-là ; et j'ose espérer ceux provoqués par mes mots moins violents que d'autres dont le monde abonde).
Suis quand même entré chez ma libraire qui comme toutes les libraires a un tout petit rayon de poésie, et comme sa librairie est toute petite, le rayon mesure un mètre, en allant vers l'alcôve (j'aime bien, cette idée : les vers se lisent désormais ainsi, chuchotés en des lieux discrets, tandis qu'éclate au grand soleil la littérature spectacle).
Je suis entré, et ressorti, le porte-feuille délesté mais la besace pleine : Boualem Sansal et son « 2084 »2, pas invité aux réjouissances, Matthew T. Kapstein et ses « Tibétains »3, pas invité non plus, et Patrick Boucheron en compagnie de Mathieu Riboulet, invité, lui, avec « Prendre dates »4. Va me falloir un jour envisager de pousser les murs...

Ne m'en sors pas, vous dis-je !
Puis voilà que j'aperçois, là, devant moi, Isabelle Alentour5, en chair et en os, que je ne connaissais que de très médiatique façon. Et ce fut comme si nous nous connaissions de toujours.
Peut-être, finalement, ne suis-je pas le sauvage que je voudrais paraître.
Notre participation commune au Radeau nous rapproche un instant, nous sommes de ce monde qui écrit dans la marge, et la marge bientôt tiendra toute la place, à force de miser sur autre chose que la littérature.
Je l'ai profondément déçue, Isabelle : elle s'attendait à un type aigri, replié, en colère permanente. Je l'ai déçue. Tant pis pour elle : rien à voir, circulez, je ne suis que le reflet des aigris qui peuplent cette ville, repliés sur eux-mêmes au point de râler contre ces empêcheurs de penser en rond qui occupent la place Saint Sauveur depuis trois jours ! Un reflet, ça ne fait pas une personne, et si souvent nous y sommes réduits, faute de ce lien qui nous tisse en humanité quand le seul spectacle nous en éloigne.
Puis je me retourne, et qui je vois ? Sonia Chiambretto, dont « l'état civil »6 traine sur mon bureau depuis longtemps. Je lui dois des excuses, à Sonia. Nous nous connaissons depuis si longtemps et je lui en ai tellement voulu que nous puissions nous croiser dans la rue sans le moindre signe de reconnaissance (ce que j'avais pris pour un geste de suffisance).
J'avais mal compris, tant l'appel à ce qu'elle lise ses propres textes avait été lancé du fond du cœur ! Nous nous sommes retrouvés sur la même longueur d'onde : celle de l'auteur qui se fond derrière son œuvre, fuyant la galère d'un monde éditorial dont la seule boussole se tourne vers le Nord glacé du rapport financier.

Et puis je suis rentré, avant que ma tribu ne vitupère trop. Je suis rentré, puisque, pour une fois, j'étais sorti, et c'est au crépuscule que mes voisins se sont étonnés que mon Autre lieu7 ne soit inscrit en rien dans ce grand chambardement.
Qui sait s'il ne faudrait pas, finalement, chercher à en être, et ouvrir ma porte au monde singulier des écrits souterrains...

27 septembre 2015

Xavier Lainé

2 Boualem Sansal, 2084, La fin du monde, éditions Gallimard collection Blanche
3 Matthew T. Kapstein, Les tibétains, éditions Les belles lettres
4 Patrick Boucheron, Mathieu Riboulet, Prendre dates, éditions Verdier
5 Il faudrait qu'un éditeur se penche sur son ouvrage autoédité sous son nom, avec des photographies de Zaspi : Isabelle Pellegrini, Parenthèse(s), introuvable comme de bien entendu...
6 Sonia Chiambretto, Etat civil, éditions Nous

7 L'autre lieu : http://autrelieu.blogspot.fr 

vendredi 25 septembre 2015

Lettre sans correspondance 3





Je ne peux pas vivre sans livres, sans me livrer au délice de ces mots qui dansent sur des pages, sans l'odeur du papier dans mon antre surchargée.

J'ai vécu très longtemps sans jamais rencontrer un « auteur ». Je n'imaginais d'ailleurs absolument pas qu'ils puissent avoir une existence concrète.
Sauf que parfois, encore aujourd'hui, ils sortent, nuitamment, de mes rêves et viennent chatouiller ma mémoire, me contraindre à reprendre mes lectures interrompues, en de longues insomnies.

J'ai ainsi croisé les illustres de mon panthéon, parfois tombant sur quelque biographies qui alimentent mes songes.
Parfois aussi, m'en voulant un peu de ce voyeurisme, j'entre dans leurs correspondances, m'imagine que leurs lettres me sont adressées et me mets à répondre, sans souci du temps ni de l'espace qui nous sépare.

Je garde un souvenir tellement intimidé des premières rencontres littéraires. Je ne dirai pas leur nom, et parfois je suis resté tellement réservé qu'il me fut impossible d'attirer leur attention.
J'ai une peur panique de paraître présomptueux, en étalant ce que je sais faire de mieux, écrire et, surtout, lire.
On me pousse pourtant, ici ou là, à franchir le Rubicon, mais jamais je n'ose et mes tiroirs débordent d'un flot dont mes successeurs auront à se débarrasser.

D'autres me disent que c'est par frustration que je critique cette grand-messe de rentrée, mais non, ils se trompent, c'est que je suis sans cesse la proie de mes doutes, que je ne suis sûr de rien et qu'à chaque livre ouvert, je mesure d'avantage la distance qui me sépare de ce que je voudrais encore écrire.
Je me retourne alors vers mes pages et d'un geste rageur, parfois, les déchire, ou les efface de mon écran. Si souvent j'eus à supporter l'intraitable jugement « peut mieux faire » sur mes copies que l'étiquette me colle à la peau.

Si aujourd'hui je jette mes bouteilles à la mer, c'est que l'écran me permet ce que le réel ne m'autorise pas : montrer mes mots et, si rougeur me monte au front, nul n'en est jamais témoin.
Je peux jeter ici mes poubelles de mot et marcher dans la rue sans faire état de cette tare d'écrire qui ne me lâche pas. Je peux me fondre dans le décor de ma ville, et n'être rien de plus que tous les passants anonymes.

Je ne demande plus rien depuis si longtemps qu'à voir ces « auteurs » parler de leur vie d'auteur, de leur désirs d'auteur, du pourquoi du comment qui guide leur écriture, moi qui ne sait que chercher sans jamais trouver, je reste stupéfait.
Gide me prend par la main pour passer la porte étroite du silence, à Giono je préfère celles et ceux qui tracèrent leur chemin de mots dans son ombre, parfois je reste en arrêt sur les vôtres, vous qui venez ici vous montrer, mais, rien que de vous voir, j'ai envie de fuir tant ma déception est grande.
Vous ressemblez si rarement à ce que vos ombres montrent, lorsque nuitamment, pour ne pas déranger la maisonnée, je me réfugie dans les lumières tamisées de cette pièces dont vous êtes les rois !

Hier donc, je n'ai rien vu. Il me fallait accompagner à voix commune une amie trop vite partie ; puis ouvrir ma porte comme chaque jour aux souffrances particulières et répandues que ce temps lègue. Et ce fut comme si mon monde quotidien ne pouvait croiser le votre, éphémère, qui pourtant me soutient. Nous ne nous croisons qu'à l'horizon des livres.

26 septembre 2015


Xavier Lainé

jeudi 24 septembre 2015

Lettre sans correspondance 2





Je regarde sur face de bouc le parterre de têtes chenues présentes pour l'inauguration. Etrange comme cette génération des trente glorieuses (ou piteuses) a su s'approprier tout un monde hérité de la bonne bourgeoisie industrielle !
Relisez donc Zola, et vous verrez les travers de ce monde, inchangé sinon par une démographie galopante qui après mai, vient s'asseoir sagement écouter journalistes et auteurs mener leur psychanalyse publique.

Je me suis donc arrêté un instant, carnet sur la table et stylo prêt à bondir.
L'écriture de Carole Martinez1 m'invitait à prendre ce temps d'écoute.
Me voilà donc à la fois subjugué et compatissant. Quelle horreur ce doit être de devenir un « auteur ». Franchement, je trouve le retrait bien plus confortable, au moins, il n'oblige pas à expliquer le pourquoi du comment d'une inspiration !
Elle ne m'a pas déçu, Carole, du tout, j'ai même retrouvé à l'écouter des réminiscences de ces sentiments que son écriture avait fait jaillir, dans le silence de mon bureau.
Mais voilà, j'aurais aimé qu'on lui foute la paix. J'aurais aimé qu'elle se contente de lire des passages de son travail avec son émotion dans la voix et rester ignorant de ce qui, en elle, a permis ce jaillissement. J'aurais aimé lire et relire (ce que je ferai), rien que pour voir la lumière d'Esclarmonde ou de Blanche errer entre les rayonnages de ma bibliothèque.

Deuxième jour, et je demeure atterré.
C'est quoi un écrivain ? A partir de quand mérite-t-il ce statut ronflant dans la bouche d'un public ?
Etre écrivain, est-ce se faire devoir de passer sous les fourches Caudines d'une célébrité médiatique dont on sait qu'elle ne peut être qu'éphémère ?
N'est-on écrivain qu'à partir du moment où Gallimard a décidé de te reconnaître parmi les siens ?

Ecrire c'est un acte secret et combien n'ont cessé de noircir des pages sans que rien, de leur vivant, ne laisse soupçonner cet envahissement ?
Combien donc d'écrivain n'eurent (et n'auront) reconnaissance de ce statut qu'une fois six pieds sous terre ?

Dans cette société où tout fait spectacle, le meilleur comme le pire, je regarde avec effarement cette agitation aux antipodes de ce silence nécessaire au jaillissement de la source intarissable.
Ecrire ne donne rien de plus, et je n'en ai rien à faire qu'un René Frégni soit allé chez ses amis, écrire un mot. Savez-vous combien en écrivent de bien plus beaux en secret.
Je n'en ai rien à faire du talent de Sonia Chiambretto qui viendra lire « ses » textes demain : je lui préfère la discrétion militante d'un Erri de Luca, celle, bien obligée d'un Faraj Bayrakdar oublié, et de tous ces simples écrivains qui ont contribué au Radeau des médusés2, loin des flon-flons admiratifs d'une foule captive.
Ce fétichisme de l'auteur m'est insupportable.

25 septembre 2015

Xavier Lainé

1 Carole Martinez : Le cœur cousu (Folio), Du domaine des murmures et La terre qui penche (Gallimard collection Blanche)

mercredi 23 septembre 2015

Lettre sans correspondance 1





Je vous écris de mon silence et vous n'en saurez rien, puisque mes mots tombent sans bruit.
Je vous écris de ma marge, où les mots sont de peu d'importance car ils ne brilleront jamais sur les scènes où vous allez pérorer comme chaque année.
Mes mots ne joueront jamais dans la cour des grands, et disant cela je ne joue pas au martyr. Car je ne vous envie pas : votre calvaire médiatique m'est une plaie ouverte. Je vise pour les mots autre chose que cet enfer où vous circulez, adulés.

Je vous écris donc de mon silence.
Plus assez d'argent pour acheter et lire tout ce que vous écrivez et qui trouve grâce aux yeux des financiers du livre.
Votre parade annuelle n'est qu'un masque : il faut faire fonctionner la « filière », écrire n'est que fumée sur cet écran où se projettent d'autres rêves.
Je dois bien constater que pour beaucoup le rêve ne sera jamais contenu dans un livre. Il se réduit, toujours plus, à cet écran plat où se déchaînent des idées sans relief.

Je suis dur, c'est vrai.
Je suis dur, non par jalousie ou frustration, mais parce que ce monde là fourmille de donneurs de leçons et ne dit jamais ce qu'il est réellement.
Combien de livres écrits pour répondre à la sollicitation des éditeurs eux-mêmes ?
Combien d'écrivains qui gagnent vraiment leur vie en cultivant leur art ?
L'audimat fait-il le professionnel de la littérature, indépendamment de la littérature elle-même ?

Je suis dur, c'est vrai.
Je pourrais d'ailleurs poser les mêmes questions dans presque tous les métiers : quelles chances ont les talents aujourd'hui ?
Aucune, car il faut être du côté du manche dès lors que tout est verrouillé par ces gens bien placés selon leur porte-feuille et qui entendent dominer le monde au service des planqués de la finance.

Dès lors comment sortir de l'ornière et faire des exceptions une généralité. Car en ce système où le talent ne suffit, où il faut en plus avoir le culot de faire valoir son œuvre, de faire le siège des éditeurs jusqu'à trouver celui qui sera le bon, et donc avoir les moyens de ces assauts, fort peu peuvent encore se faire valoir d'humilité.
Et il leur est demandé (L'Harmattan n'est pas le seul dans ce cas) d'être les VRP de leur production littéraire...

Les correspondances sont la vitrine de ce monde là. Rares sont ceux qui peuvent s'y retrouver et leur public est un peu toujours le même d'une année à l'autre : catégories moyennes plutôt âgées, ayant encore des revenus permettant ce « tourisme culturel ».
Les autochtones, dans leur grande majorité, continueront à bosser comme si de rien n'était. Certains se contenteront de rêver pouvoir enfin profiter de cette manne littéraire servie à domicile et resteront chez eux, frustrés de n'avoir pu s'offrir ces mets de choix.

Car, malgré toute mes préventions, il n'est pas que brouet servi en ces jours de littérature spectacle. Et bien peu en seront les élus.

23 septembre 2015

Xavier Lainé


mardi 20 janvier 2015

Gérard Noiriel



La crise du capitalisme illustre, sur le plan économique, l’impasse d’un système fondé sur la concurrence, l’exacerbation des intérêts et des égoïsmes individuels.
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A la différence des esclaves, les prolétaires sont libres de ne pas aller travailler dans les usines que possèdent les capitalistes. Mais ils n’ont pas d’autre solution s’ils veulent survivre.
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Tous ceux qui détiennent le privilège de parler à la place des autres contribuent à faire exister les groupes en les nommant sur la place publique, en définissant les « problèmes » dont tout le monde doit parler, en fournissant le stock d’arguments légitimes dans lequel les dominés devront puiser pour exprimer leurs protestations.
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Moyen de fixer et de stocker la pensée, l’écriture est devenue une ressource formidable pour accumuler du savoir à des fins stratégiques grâce à l’invention de l’imprimerie. A ce titre, elle va très vite devenir un élément clé des relations de pouvoir. La cartographie, les recensements de population serviront aux Européens pour soumettre les peuples colonisés. Au sein des sociétés européennes elles-mêmes, la diffusion de la culture écrite dans les campagnes a conforté le pouvoir des élites, dévalorisant les cultures populaires, le plus souvent orales.
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Le rapport salarial qui a triomphé à partir du XIXème siècle, a placé la plus grande partie des individus dans la dépendance des entreprises capitalistes. Le salaire au rendement et les systèmes de primes, pour récompenser notamment l’assiduité ou la ponctualité, ont été autant de moyens grâce auxquels les dirigeants ont pu orienter la conduite des ouvriers pour augmenter leur productivité.
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Tous les discours actuels sur les fluctuations de la conjoncture, la population active, le pouvoir d’achat, etc. s’appuient sur des données quantitatives centralisées qui nous font perdre de vue les individus réels et leur infinie diversité.
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L’égalité juridique des citoyens masque (…) l’existence d’un « cens caché » qui découle des inégalités sociales et culturelles. En approfondissant les analyses de Pierre Bourdieu, les politistes ont montré que les classes populaires étaient, le plus souvent, exclues de fait des compétitions électorales, généralement accaparées par des professionnels issus des classes moyennes et supérieures. La démocratisation du suffrage universel a simplement donné aux ouvriers et aux paysans le droit de choisir ceux qui vont parler et agir à leur place.
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L’un des effets les plus visibles de la domination politique est illustré par le fait que les politiciens de métier ont réussi à inculquer la croyance qu’ils pouvaient résoudre les problèmes des citoyens.
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Grâce aux cartes électorales, il est devenu possible de vérifier qui était citoyen et qui ne l’était pas.
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Pour atteindre des dizaines de millions d’électeurs dispersés sur l’ensemble du territoire national, il a fallu créer des organisations utilisant les techniques bureaucratiques d’action à distance.
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Lorsque les ouvriers n’ont plus fait peur aux bourgeois, les communistes n’ont plus pesé lourd sur l’échiquier politique.
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La somme des cultures personnelles forme la culture nationale, même si celle-ci est fragmentée en cultures de groupes : la culture savante s’oppose ainsi à la culture populaire, la culture communiste à la culture gaulliste, la culture des intellectuels à celle des manuels.
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Les moyens de communication à distance qui ont permis d’asservir les groupes les plus faibles ont aussi été utilisés par ces derniers pour se défendre.
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Plus les chaînes d’interdépendance s’étendent, plus les milieux culturels se différencient et plus les individus diversifient leurs affiliations.
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Pour les nobles vivant à Versailles au XVIIème siècle, les paysans ne faisaient pas partie de l’humanité.
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Ayant conquis le pouvoir de parler à distance à un grand nombre de personnes, les philosophes vont inculquer à ces dernières leurs manières de voir, leurs thèmes de prédilection, leurs goûts et leurs dégoûts, mais en s’appuyant sur les aspirations de leur public.
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Celui qui tient la plume « fabrique » le public dont il dépend en jouant sur les aspirations diffuses et disséminées des individus qui en font partie. L’invention des techniques audiovisuelles a seulement permis d’exploiter toutes les potentialités de cette relation de pouvoir.
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Dans les pays où le développement économique a atteint un degré important, la différenciation des fonctions a permis l’émergence de ce qu’on appelle la « société des loisirs ». un nombre croissant d’individus a eu ainsi la possibilité de participer à des activités culturelles de plus en plus variées. La musique, les arts plastiques, le cinéma, la télévision, le sport sont devenues des activités autonomes, ayant leurs propres règles, leur propre langage, leurs propres systèmes d’interdépendance.
La démocratisation de la culture illustre les contradictions inhérentes à l’extension des moyens de communication à distance.
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Le perfectionnement et l’extension incessante des moyens de communication ont permis aux individus occupant une position dominante dans ce type d’activités de toucher un nombre toujours plus grand de consommateurs. Mais on constate que plus les liaisons à distance s’étendent, plus le fossé entre les producteurs et les consommateurs se creuse.
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Les normes qui dominent le milieu culturel valorisent la création, l’originalité, l’innovation. L’artiste de génie est celui qui a renouvelé de fond en comble la vision de son époque. Le grand savant est celui qui a trouvé la formule qui révolutionne la connaissance. La culture repose donc sur une définition individuelle de l’acte créateur. Mais pour que le génie soit reconnu, il faut qu’il soit validé par un groupe de « connaisseurs ». Pour que la découverte du savant passe à la postérité, elle doit nécessairement être confirmée par ses pairs. Autrement dit, artistes et savants sont toujours dépendants d’un public particulier.
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Si l’écrivain « conditionne » ses lecteurs, réciproquement, la réception des œuvres influe sur leur écriture et de nouveaux publics créent de nouveaux textes.
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Les œuvres n’existent que lorsqu’elles deviennent des réalités physiques et ces dispositifs formels (la façon dont sont alignés les caractères, la mise en page, etc.) commandent, en partie, la lecture.
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A une époque où les partis, au sens actuel du terme, n’existent pas, l’écrivain est perçu comme celui qui parle au nom des malheureux. Puisqu’il décrit leurs souffrances, c’est qu’il est capable de se mettre à leur place.
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Lorsque les ouvriers ont été intégrés dans des organisations de classe (syndicats) et lorsque l’activité économique a permis à la plupart d’entre eux d’avoir un emploi, les comportements violents ont eu tendance à reculer.
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Toute forme de savoir résulte d’un rapport de pouvoir, ce qui abolit la frontière entre la science et la politique.
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Le meilleur critère pour apprécier le degré d’objectivité atteint par une discipline scientifique, c’est donc de mesurer l’intensité des pratiques collectives qui lient les membres du groupe.
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Le polémiste se contente d’isoler un fait ou un argument dans le discours de son adversaire, sans respecter ni son point de vue ni la cohérence de sa démarche. Il s’attribue ainsi un pouvoir souverain sur son interlocuteur en condamnant son texte a priori, sans appel, et en se contentant d’instruire son procès. Il suffit alors de maîtriser l’art de découper les citations pour faire dire à peu près n’importe quoi à n’importe qui.
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Il faut restituer l’argumentation globale d’un texte avant de le discuter, énumérer les points d’accord avant d’exprimer les divergences. Menée dans cette direction, la discussion prendra la forme d’une controverse et non d’une polémique.
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La politique repose sur des jugements de valeur et des préoccupations normatives. Ses acteurs s'interrogent constamment sur ce qu'il faudrait faire pour que les choses aillent mieux, tout en dénonçant ceux qu'ils jugent responsables de leurs malheurs. Les chercheurs, quant à eux, s'efforcent de mieux comprendre la réalité telle qu'elle est. Il leur faut beaucoup de temps pour réaliser leurs enquêtes. Ils sont donc toujours en décalage par rapport à l'actualité qui, par définition, change chaque jour.
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L'histoire du communisme a montré que même là où la bureaucratie et le capitalisme avaient été attaqués de front, ils avaient fini par se rétablir plus puissants que jamais.
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Dès que le chercheur quitte son laboratoire pour s'exprimer dans l'espace public, il entre en concurrence avec les deux personnages qui occupent une position hégémonique dans cette sphère : l'homme politique et le journaliste. Ceux-ci sont toujours en position de force, car leur métier leur donne la possibilité de toucher un public beaucoup plus large que les universitaires. Ces derniers peuvent s'exprimer dans la presse, à la radio, parfois même à la télévision, mais à condition qu'ils acceptent de répondre aux questions qui intéressent les médias. D'où les tensions très vives qui opposent souvent les deux milieux.

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Bibliographie





Introduction à la socio-histoire, éditions La découverte, 2006

samedi 17 janvier 2015

Il est temps de rompre

A propos de « Matin brun », de Franck Pavloff

Il est temps de rompre, oui. Rompre avec les indifférences, avec les petits accommodements.

Il est temps de rompre.

1997 fut un temps de montée brune. Des mairies passées à l'affront faisaient figure de proue des petits arrangements politiciens avec la peste. L'art et la manière de réactiver les schémas les plus odieux tout en se réclamant parfois de gauche.
Spectre si dangereux à manipuler qu'il se retourne toujours contre ceux qui l'emploient.



En 1998, parraissait « Matin brun » de Franck Pavloff.
Nous avons tout fait pour qu'il soit lu. Il a été lu, mais bien vite oublié.

En 2002, il devint évident que la manipulation des apprentis sorciers de la politique nationale imprimait aux cervelles désorientées d'un peuple sans cesse trahi (par ceux qu'il prenait pour les siens) une monochromie rance dont les ramifications ne pouvaient que croître au terreau fertile de médias offerts aux puissances financières.
On manifesta, bien sûr, et « Matin brun », de Franck Pavloff ressurgit comme un miracle prémonitoire.
Le danger ne fut écarté que de justesse et par la défaite de toutes les espérances.
Pas un mot pour celles et ceux qui avaient fait barrage, mais toujours les mêmes mirages dressés d'une crise qui détruit tout le monde, qui détruit le monde, mais profite toujours aux mêmes.
Mêmes vieilles ficelles tirées en haut lieu, sur terreau de destruction de tout ce que ce pays pouvait encore porter d'éducation et de culture.

Voilà que le mufle brun, féminisé pour mieux se fondre au lisier ambiant, se trouve dépassé par ceux mêmes qu'il ne cessa de stigmatiser.
Le cocktail de la misère, de l'ignorance et du fanatisme fondé sur des amalgames confus ont désormais généré ce qu'il convient de nommer un nazisme fondamentaliste religieux.
On le trouve dans toutes les religions, mais bien sûr, on vous dira que les pires sont islamistes.
On ne vous dira jamais qu'en haut lieu, ceux qui enfoncent le pays dans une crise sans fondement, supercherie suprême jetée aux esprits effondrés par une inculture généralisée, au nom des dogmes de l'école du chaos et du choc, en tirent les ficelles.



Et « Matin brun », de Franck Pavloff ressurgit, illustré cette fois.
Mais sera-t-il lu autant que Voltaire en ces temps de trouble évident, et par qui ?

Il serait temps de rompre avec les feux de paille de nos petites révoltes émotionnelles.
Il serait temps de démasquer celles et ceux qui depuis plus de quarante ans jouent avec les allumettes pour mieux crier au feu et s'autoproclamer démocrate quand ils ne cessent, au nom des risques terroristes, de prendre mesures contraignantes pour nos libertés.
Il serait temps de lire « Matin brun » de Franck Pavloff, non pour s'en faire un viatique, mais pour nous détourner des sentiers boueux où nous conduisent les basses manœuvres politiciennes et l'absence de vraie politique d'éducation et de culture à la hauteur des nécessités, en invitant celles et ceux qui depuis trente ans plongent la main au portefeuille des plus pauvres pour engraisser le leur, sans aucune considération pour la désolation qu'ils sèment.
Et si ce sont des journalistes, écrivains, poètes, dessinateurs qui ont trouvé la mort sur ce chemin d'abjection, considérons enfin le message symptomatique qui nous est envoyé : lisons, relisons et faisons lire « Matin brun » de Franck Pavloff, puisqu'il nous invite à quitter les routes toutes tracées des pensées d'experts assermentés au CAC 40.

Il est temps de rompre.
"Ni couleur imposée ni pensée unique, nos matins seront libres", nous dit Franck Pavloff.


© Xavier Lainé, 18 janvier 2014

Bibliographie

Matin brun, éditions Cheyne, 1998

Matin brun, éditions Albin Michel, 2014